Je n’aime pas plus que ça les vampires. Ce n’est pas que le mythe me dérange particulièrement, c’est juste qu’il a tellement été utilisé ces dernières années que j’ai l’impression d’avoir fait le tour de la question, surtout lorsque ces créatures sont prétextes à des histoires d’amour toxiques. Merci, mais non merci.
Je ne lis pratiquement pas d’auto-édition non plus. Face à l’océan infini des possibilités, je n’ai jamais vraiment plongé. Il faut dire que les sorties déjà traditionnelles occupent déjà bien assez de mon temps.
Comment est-ce que je me suis retrouvée à lire Elisabeta alors, une histoire de vampires publiée en auto-édition ? Le bouche à oreilles principalement. Il faut dire que Rozenn Illiano est tenue en très haute estime par des gens dont je partage les goûts. Et pourquoi est-ce que j’ai commencé par ce livre là ? Avant toute chose, il faut savoir que l’autrice travaille, au travers de ses œuvres, sur une grande fresque littéraire. Bien qu’indépendants (ou parfois en courte saga), la plupart de ses livres participent de son Grand Projet : une Histoire par-dessus les histoires, des tranches de vie qui finiront par converger vers un événement final. L’autrice a proposé une liste pour savoir dans quel ordre les lire si on souhaite bénéficier au mieux de l’expérience, et c’est ainsi que j’ai commencé par Elisabeta, après une petite mise en bouche avec Fêlures.
Me voilà donc lancée dans ce joli pavé (autour de 500 pages) qui s’est révélé une excellente surprise. J’emprunte au site de l’autrice son résumé.
Dans les ombres de notre Histoire se cache le Cercle, le peuple immortel que les humains nomment « vampires »…
En France, Saraï, une toute jeune immortelle, est condamnée à vivre assignée à résidence. Son seul tort ? Avoir développé un pouvoir parapsychique au moment de sa transformation. La magie est une menace pour le Cercle et ses lois rigides, si bien qu’on lui a arraché son don avant de la contraindre à ne plus jamais quitter sa maison.
En Italie, Giovanna vit en compagnie d’un vampire dont elle est l’unique source de sang. Elle aussi n’a pas eu le choix : née dans une famille proche du Cercle, elle a dû se soumettre à leur autorité et abandonner sa petite vie toute tracée pour rejoindre cet immortel qu’elle a finalement appris à aimer.
Saraï et Giovanna ne se connaissent pas. Mais en ce jour de novembre 2014, et alors qu’une éclipse solaire se produit, leur existence vole en éclats, traversée par une tempête aux graines semées des siècles plus tôt. Une tempête du nom d’Elisabeta, la dernière reine immortelle, dont l’âme s’est attachée à une poupée de porcelaine.
Réduite aujourd’hui à l’état de fantôme, Elisabeta vient en aide à Saraï et Giovanna, dans un seul but : se venger du Cercle, qui lui a tout pris. Mais peut-on se mesurer à ces êtres ayant vécu si longtemps, et possédant autant de pouvoir ?
Vampires, prophétie ancienne, société millénaire et codifiée, révoltes : à votre tour de découvrir les secrets du Cercle….
La plus grande qualité de ce livre, sans nul doute, c’est sa sincérité. Ses personnages attachants sont développés sur 500 pages avec un luxe de détail qui, paradoxalement à leur statut d’Immortels, les rend terriblement humains. J’ai beaucoup aimé cette façon de traiter les vampires. On ne peut que s’attacher à leurs tourments, leurs doutes, et s’indigner avec eux – avec elles surtout devrais-je dire – du traitement qui leur est réservé. Loin des monstres sanguinaires habituels, les immortels d’Elisabeta sont des junkies en manque de sang permanent, presque asservis aux humains qui leur fournissent leur subsistance. On y croise Saraï, la douce et réservée, capable de lire les souvenirs laissés sur un objet et les sentiments affleurants d’une personne ; Giovanna, la fougueuse et révoltée, changée contre son gré, en colère contre le monde entier ; Elisabeta, la Reine déchue, les restes d’un fantôme brisé par une existence amère ; mais aussi Carmine, le protecteur timoré ; Luciano, l’amant inquiet ; et tous ces autres que je ne peux vous décrire sans risquer de vous cacher le plaisir de les rencontrer.
Car au-delà des troubles personnels propres à chaque personnage, l’autrice nous plonge dans l’injustice d’une société façonnée par des êtres mal intentionnés. Ont été brimés les femmes, les intellectuels, les savants, les doués, tout ce qui pouvait se mettre en travers de la route des quelques maîtres qui se sont appropriés le pouvoir. Elisabeta est aussi le récit d’une révolte, d’une tentative de renversement de l’ordre établi, à laquelle se mêle un plan centenaire. On ne peut qu’admirer ici la construction minutieuse de l’intrigue, qui s’enchâsse dans celle du Grand Projet, sans jamais tomber dans un grand spectacle facile avec les vampires. La plupart des scènes sont en réalité très intimistes, et chacun sert au développement d’un caractère, d’un lien, car tout le roman repose sur ce réseau de relations entre les personnages.
Ce qui est bien avec les êtres immortels, c’est qu’ils permettent de donner facilement une sensation de vertige, tant les dates peuvent être immenses. Ici, cela fonctionne parfaitement, grâce aux jeunes et aux vieux vampires, à la rencontre entre leurs espoirs, leurs actions et les secrets qu’ils se cachent. On joue sur des échelles de temps différentes pour donner au tout une impression de profondeur vertigineuse.
Je regrette peut-être d’avoir trop aisément anticipé quelques rebondissements de l’intrigue, mais rien qui n’a gâché mon plaisir. Cette lecture me rappelle une autre que j’ai faite récemment : Les oubliés de l’amas de Floriane Soulas. Oui, de la SF space opera. A priori, rien à voir entre les deux, me direz-vous, sauf qu’en réalité, j’y ai trouvé le même soin apporté aux personnages, le même souffle unique qui traverse le roman de bout en bout, plonge dans l’ambiance unique de chaque œuvre, et même si dans les deux cas, j’ai pu reprocher quelques broutilles en cours de route, je suis profondément impressionnée par la maîtrise des autrices, et par les promesses qu’elles peuvent faire sur leurs romans à venir. Et j’en sors avec une admiration profonde qui m’inspire énormément en tant qu’autrice.
Pour finir, je souhaiterais m’attarder quelques secondes sur la qualité éditoriale des livres. Outre la couverture absolument ébouriffante réalisée par Xavier Collette, tout l’objet respire la qualité. L’intérieur est élégant, à l’image de sa prose, avec des petits détails typographiques qui poursuivent l’expérience de lecture. Le livre n’a rien à envier à un de ses concurrents d’édition traditionnelle.
Bref, Elisabeta, c’était un très bon livre, et je vais m’empresser d’aller découvrir une autre histoire du Grand projet. Je crois que ce n’est pas la dernière fois que vous me lirez parler de Rozenn Illiano sur ce blog.
Passez une bonne journée !
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